Chers Futuristes,
L'opération nécessitait une grande discrétion. C'est la raison pour laquelle j'ai évité de fréquenter le site pendant quelques semaines. Vous comprendrez je l'espère. Les contacts avaient été pris de longue date, et si les historiens examinent un jour mon passé, ils verront que ma jeunesse ne fut pas exempte de sympathie pour ces gens et leur système. Oui, un soir d'Octobre, je suis passé chez les Rouges. Le seul indice qui aurait pu avertir les oreilles des Bleus : un grondement de timbale dans l'air du soir, mais j'avais choisi à dessein une période orageuse pour tromper les espions et les contre-espions...
Qu'est-ce qui peut bien pousser un utilisateur de la confortable Aprilia Futura à passer chez les fabricants de la Ducati 1000ss-DS ? Son existence semblait devoir s'écouler tranquillement dans le va et vient élastique du V60, avec toute la considération due au conducteur haut-perché (heu!...trop haut, justement) d'une routière sportive cossue et silencieuse. Mais le coeur aventureux a ses raisons que seule l'aventure connaît. Un jour, il en eut assez de ces formes un peu encombrantes, de cette hauteur qui l'éloignait des plaisirs rustiques du voyage, et surtout de ce silence, qui en faisait une victime potentielle de ces accidents de chasse qui envahissent la chronique des motards écrasés. Ces derniers temps, le vent de révolte ayant bien soufflé depuis depuis deux ans, tout ce bleu, élégant mais marqué au coin du consensus finissait par l'écoeurer. Il ne pouvait s'empêcher de l'associer au bleu des convois de policiers et de mercenaires de tout poil qui avaient persécuté la population des motards et des ouvriers, et jusque dans sa famille, où ses jeunes fils étudiants avaient pu éprouver la scélératesse des méthode du comte Sarcozi, florentin au petit pied, mais chef acharné de ces escouades de spadassins. Le bleu, sainte-vierge comme la tunique de la papesse Sarcolène, ou CRS comme le plafond du parlement officiel, il n'en voulait plus. Ce n'était plus de saison. Il savait qu'il lui faudrait faire beaucoup de sacrifices, sur son confort, sur les dépenses quotidiennes aussi pour y parvenir, mais sa décision était prise: le rouge était mis et il choisirait une Ducati 1000ss, un vrai rêve de gosse.
Il faut se garder de toute ingratitude: bien avant l'invasion des uniformes bleus et la construction des murets de séparation, de tous ces passages obligés et dangereusement étroits dans la capitale, sa belle Futura bleue a rendu de bons et fidèles services. Mais depuis deux ans, et c'était un signe de la dégradation générale, de cette désindustrialisation progressive, le fabricant, un certain Aprilia, installé à Noale, ne suivait plus, et la machine pouvait demeurer immobilisée plus de quatre mois dans l'année...
À ce stade, je ne lance pas d'appel à la désertion ou à l'insurrection. Je garde ces mots d'ordre pour des situations plus graves. Il y a encore un pas à franchir entre le mécanique et le machinal, et je compte sur les Futuristes pour défendre l'esprit du mouvement jusqu'aux limites du supportable... J'ai choisi la liberté : la légèreté, la musicalité, même si la beauté implique parfois de se serrer la ceinture.
Vous aurez probablement l'occasion de me croiser, lors de missions que j'effectue hors de la zone contrôlée par les Rouges. Nous échangerons alors un clin d'oeil complice, car nous savons que l'avenir nous réunira, pour le triomphe de la liberté.
Viva la liberta !
Stefano, garibaldiste bolognais.
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